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N.B. : Ce chapitre est consacré à ma rencontre avec cette espèce de créatures féeriques ; les détails qui les concernent (habitat, pouvoir, traditions etc.), sont dans un chapitre dédié

Le village du Nord

Cela fait plus de trois ans que je suis arrivée dans le royaume de Va’alaore. Mon petit cottage de pierre, aux murs envahis de lierre, de mousse et de plantes grimpantes, se dresse au cœur de la forêt, telle une extension de la Nature elle-même. Je suis loin d’être seule dans cette forêt : chaque matin, je suis réveillée par le gazouillement de petites mésanges bleues, perchées non loin de mes fenêtres. Quand les plantes sont en fleur, le discret grésillement des abeilles qui les butinent ajoutent une note mélodieuse aux sons quotidiens. La terre meuble conserve les empreintes de nombreux animaux : lapins, cerfs, daims, sangliers, renards… Sapins, chênes, bouleaux et frênes, pommiers et châtaigniers constituent les principales essences d’arbre de mon lieu de vie. L’odeur de leur résine flotte dans les airs, telle une légère brume, délicieusement fraiche et odorante. Ils abritent une multitude de petits êtres, féeriques ou non, qui vivent en parfaite harmonie. Tout cela constitue une merveilleuse symbiose, qu’on croirait presque magique.

J’ai commencé à explorer les environs à peine quelques semaines après mon arrivée. J’étais beaucoup trop impatiente de partir à la découverte de ces terres qui m’étaient encore inconnues. Et je n’ai jamais cessé. A chaque sortie, j’avais mon carnet de croquis dans une main, ma plume dans l’autre ; je consignais absolument tout ce que je voyais. Je décrivais le paysage, les espèces que je rencontrais, que je les connaisse ou non. C’en était presque devenu une obsession : je voulais tout voir, tout comprendre, tout consigner sur papier.

J’avais repéré un village de Fées un peu plus au nord. Lors de ma première visite, j’avais remarqué qu’elles ne vivaient pas en « ethnies » (faute d’un meilleur terme) : plusieurs races de fées coexistaient dans ce village. Pour l’instant, je ne saurais dire si elles avaient un rôle assigné en fonction de leurs capacités. Je ne les avais observées que de loin. D’après les dires de l’aubergiste de Kandrak, elles se méfiaient des Humains. Je prenais donc garde à ce qu’elles ne me remarquent pas lors de mes excursions, pour ne pas les effrayer. J’avais pris l’habitude de me cacher derrière des buissons, les observant à bonne distance à l’aide de mes jumelles. Cela me permettait de prendre mon temps pour écrire et dessiner, notant chaque détail, chaque couleur, chaque activité qu’il m’était possible de voir.

L’ excursion

Mon objectif du jour concernait une des Fées en particulier : je l’avais furtivement aperçue lors de mes visites précédentes. Et je n’avais encore jamais vue de créature comme elle, pas même dans mes livres.

Je me suis levée aux aurores, pour arriver là-bas le plus tôt possible. J’avais prévu de passer ma journée voire ma nuit au village, je me suis donc préparée à partir en exploration pour plusieurs jours. J’enfilais un pantalon et une tunique en toile épaisse, assortis d’un épais manteau de fourrure ; chaussures de cuir et chaussettes en laine ; mon fidèle sac à dos rempli de vivres ; une boite d’allumettes (j’en avais récupérée une caisse dans l’Ancien Monde), silex et pierre à feu, une carte des environs dénichée à Kandrak, une outre en cuir, un long coutelas glissé à ma ceinture, une paire de jumelles suspendue à mon cou, une boussole dans ma poche gauche, ainsi qu’une lampe et une petite réserve d’huile. J’emportai également mon sac de couchage et ma petite tente, au cas où.

Je restai là, cachée, silencieuse, des heures durant. Attendant patiemment mon heure. Espérant de toutes mes forces qu’elle soit au village et qu’elle reste suffisamment longtemps pour que je puisse esquisser sa silhouette.

  Elle ressemblait à une Fée, mais pas tout à fait ; ou plutôt, si, à une Fée, dont les ailes ressemblaient à des feuilles. De bien curieuses feuilles. Tout en finesse et en transparence, des couleurs chatoyantes, comme le printemps avait été emprisonné à l’intérieur. Tapie derrière un buisson, je rajustais mon carnet de croquis sur mes genoux, vérifiai la pointe de mon crayon ; ma main courait sur la page, tentant de capturer son image avant qu’elle ne s’enfuît, tout en prenant garde à ne pas faire le moindre bruit.

Je ne reconnaissais toujours pas cette créature, même après avoir achevé le dessin. J’avais besoin de faire des recherches, et il était devenu évident que mes ouvrages personnels ne contenaient pas suffisamment d’informations. Je décidais donc de me rendre à la bibliothèque de Kandrak.

Kandrak est une petite ville fortifiée se situant non loin de mon cottage, à l’est. Je découvris son existence quelques semaines auparavant, lors d’une de mes promenades. Elle se situait au pied d’une chaîne de montagnes, dont certaines avaient un sommet enneigé ; un immense lac d’un bleu profond jouxtait la cité ; au sud, on pouvait apercevoir la côte et l’océan.

J’avais manqué de temps pour explorer la ville, mais ce que je vis regorgeait déjà de tant de merveilles qu’un chapitre entier sera nécessaire pour la décrire. Pour l’heure, je vous parlerai simplement de sa bibliothèque. 

Cette bibliothèque est la plus incroyable qu’il m’eut été donné de voir jusqu’à présent. Elle fait la plus grande fierté des habitants de la ville. En effet, elle avait plus de mille ans. Elle contenait des dizaines de milliers d’ouvrages, qui venaient de toutes les contrées de Va’alaore et même au-delà. Certains venaient de legs d’anciens membres du Conseil dirigeant, d’autres avaient été rapportés par des voyageurs ; d’autres encore avaient été offerts par les auteurs eux-mêmes. Cet endroit avait beau ressembler à l’Ancien Monde, lorsque la science était limitée, la magie qui y régnait avait permis de s’affranchir des contraintes de l’imprimerie classique (ceci fera aussi l’objet d’un autre chapitre). J’eus même la surprise d’y trouver ce qu’on pourrait appeler des ouvrages modernes !

            Mais je crois que la chose la plus incroyable, époustouflante, mythique qui se trouve dans cette bibliothèque, c’est la façon dont les ouvrages sont classés et inventoriés…

Un ordinateur. Je n’aurais pu trouver d’autres mots pour le décrire. C’est un immense ordinateur, qui trônait au centre de la pièce. Plusieurs personnes s’affairaient autour, aussi bien celles qui travaillaient dans la bibliothèque que des visiteurs en quête de leur prochaine lecture.

De curieuses tablettes lumineuses étaient encastrées sur la machine ; parfois les visiteurs en prenaient une, partaient dans les rayonnages avec, puis revenaient la déposer.

            Je m’approchais de l’une des documentalistes, mon croquis à la main, pour lui demander si par hasard elle reconnaissait la créature que j’avais dessinée. C’était une femme d’une petite cinquantaine d’années, aux cheveux blond cendré relevé en élégant chignon sur sa nuque. Elle portait une longue robe de lin brut tissé, ajustée sur la taille par une ceinture de cuir, décorée de petites arabesques forgées. De petites bottines de cuir marron chaussaient ses pieds fins. Pas un seul bijou n’était visible, ni accessoire d’aucune sorte.

Elle prit le morceau de papier, rajusta ses lunettes rectangulaires sur son nez, et l’observa avec attention, les sourcils froncés. Malheureusement, ce ne fut pas le cas. En revanche, elle me conseilla d’utiliser une des tablettes kandrakiennes pour trouver des informations. La première fois qu’elle m’avait parlé de ces tablettes, j’avais été complètement décontenancée. L’une de ses collègues m’avait alors expliqué de ces tablettes étaient des outils de recherche liés à l’ordinateur central. Grâce à ces tablettes, on pouvait trouver tous les ouvrages liés aux mots-clés que l’on entrait, mais également aux dessins et images que l’on pouvait scanner. Ce pays ne cessait de m’étonner. Ils avaient beau avoir un mode de vie que l’Ancien Monde qualifierait de médiéval, leur technologie était bien plus avancée que la nôtre. Cet ordinateur en était un parfait exemple : une symbiose parfaite entre science et magie.

J’ai donc utilisé la tablette pour rechercher la créature que j’avais dessinée. Il s’est avéré qu’il s’agissait d’une espèce de Nymphe : une Dryade. Je me retrouvais avec une pile dangereusement haute d’ouvrages à consulter. Je crois que de longues heures de travail m’attendent.